8 décembre 2019

Le premier concert filmé de Bill Haley que je vis

En 1985, équipé d'un magnétoscope, cadeau de ma grand-mère, je loue au vidéoclub le film de Curtis Clark, Blue Suede Shoes (1980). Ce documentaire porte sur le revival rockabilly en Angleterre, montrant, ponctué d'images d'archives, les teddy boys et autres bandes de greasers (rockers gominés) en week-end  à un festival de rock-and-roll, en 1979. La jaquette affiche, entre autres artistes, "Bill Haley".

Dans ce film, Bill apparaît d'abord avec quelques images d'archives, lors de sa première venue en Angleterre, en février 1957. Des images que j'avais déjà vues à la télévision dans des documentaires sur l'histoire du rock.

Geoff Driscoll (saxophone) et Bill Haley
au Royalty, 1979. GETTY IMAGES
Mais le plus intéressant sont les extraits du concert que Bill donna le 8 mars 1979, au Royalty à Londres. Je vois pour la première fois ce qu'était un concert du bonhomme. Après l'annonce de l'entrée en scène du "Roi du rock-and-roll", je vois les Comets jouer le fameux instrumental d'ouverture que le groupe appelait "the B flat chaser" (le "chasseur" en si bémol). Ce riff a deux fonctions. Primo, il "chauffe" le public en laissant suffisamment de temps à Bill pour saluer ses fans – aile droite, centre, aile gauche – puis épauler sa guitare. Secondo, l'intro permet à l'ingénieur du son d'affiner la balance. Je vois alors pour la première fois Bill entonner "Shake, Rattle and Roll", jouant l'accord de fa, en plaçant ses doigts comme sur les photos des pochettes de disques.

Le public est excité, Bill est tout souriant. Je découvre enfin comment il joue son accord de mi bémol, un do décalé à la quatrième case, avec la corde de sol à vide. Sacré Bill, le seul à jouer comme cela. Même Jacko Buddin, l'anglais qui imitera la voix de Bill vingt ans plus tard avec les Comets, ne reproduira pas ce jeu de guitare.

Ce document m'impressionne toujours ! La sortie de scène de Bill sous les cris de la foule, encouragée par l'aboyeur et guitariste rythmique Ray Parsons au micro, et son retour pour un rappel ("Rock the Joint"), témoignent de l'ambiance qu'il y avait ce soir-là. Les anglais qui applaudirent le roi du rock en parlent encore sur Facebook.





Pourquoi j'aime Bill Haley

Cela près de quarante ans que j'écoute et apprécie toujours autant la musique de Bill Haley. Quarante ans que le personnage me fascine, comme il fascine encore plusieurs centaines de personnes* dans le monde. Mais pourquoi ?

Les goûts musicaux se forment à l'adolescence, aux alentours de quatorze ans pour les garçons, comme le souligne une étude de Seth Stephens-Davidowitz publiée en 2018 dans The New York Times. Pour moi, ce fut vers dix ans, lorsque mon père acheta un 33 tours des sessions suédoises de Bill Haley. Le son se grava dans mon jeune cerveau, déjà bercé par les disques Formidable Atlantic Rhythm & Blues que mes parents jouaient lorsque j'avais sept ou huit ans.

Ambivalence
Bill Haley blog
Bill Haley tiré à quatre épingles.
Mais Bill, pourquoi m'émut-il ? Pas l'allure d'un héro auquel s'identifier, contrairement à Elvis. Son allure d'homme strictement vêtu m'intéressait davantage. Son noeud papillon ou son noeud "twist" (appelé crossover tie aux États-Unis) sont si singuliers. Bill, toujours élégant, avait un côté rassurant, gentleman du rock. On aurait dit un prof de droit qui s'encanaille. Surtout, il me semblait sympathique : sur les photos, toujours souriant, il avait l'air poli, entouré de musiciens en costumes uniformes tout aussi souriants. Des mecs bien sur eux. Lors de ses interview, Bill est très courtois, des bonnes manières héritées de sa mère anglaise dit-on.

Il y a aussi chez Bill Haley une ambivalence. Cet homme à l'accroche-coeur, que les revues et livres sur l'histoire du rock comparaient à un "père de famille", chantait une musique révolutionnaire à l'époque. A son passage, en 1958, les jeunes cassèrent des fauteuils à Paris et à Berlin. Avant Gene Vincent et Vince Taylor, Bill Haley signifiait "délinquance juvénile" pour la presse et les adultes.

Mais peu importe. J'aime Bill Haley pour le son et le rythme qu'il a créés et la simple joie qu'il me communique ce faisant.

* D'après les membres de forums et réseaux sociaux consacrés au chanteur.




Disque : Biggest Hits, par Bill Haley

En 1968, Bill Haley a 43 ans. Il connaît un regain de succès, en particulier en Angleterre où il compte de fidèles admirateurs, ainsi qu'en Suède où il entreprend une tournée en juin. Sa nouvelle maison de disques, Sonet, basée dans ce pays, lui fait enregistrer à l'occasion de la tournée un album en studio intitulé Biggest Hits. Sur les douze titres de l'album, Bill enregistre à nouveau plusieurs de classiques, certains pour la énième fois : "Rock Around the Clock", "Skinny Minnie", "The Saints Rock and Roll", "Shake Rattle and Roll", "Rock-a-Beatin' Boogie", "Rock the Joint" et "See You Later, Alligator".


Le rocker chante ses tubes d'une manière décontractée, sur un tempo plus lent que celui des versions originales, mises en boîte près de quinze ans plus tôt. J'aime néanmoins ce disque, maintes fois réédité par divers labels dans le monde entier. Peut-être parce que ce fut mon premier disque de Haley. En France, ce LP, sous le label bon marché Musidisc, était dans tous les bacs de supermarchés et hypermarchés à la fin des années 1970. C'était souvent avec lui qu'une nouvelle génération de rockers découvrait Bill Haley.

Ce 33 tours inclut des morceaux presque plus intéressants que les tubes précités, si souvent réenregistrés par Bill. J'aime le tempo médium de "Flip, Flop and Fly", avec un piano boogie (joué par Rune Ofwermann) et des ricochets de steel guitar (jouée par Nick Nastos). Haley enregistrera à nouveau cette chanson quatre mois plus tard pour United Artists, avec un rythme plus rapide et un solo de piano endiablé. Dans le style asiatico-rock, Bill reprend "Ling Ting Tong", rappelant son "Dragon Rock" enregistré en 1959.

Sur le plan instrumental, la guitare rythmique de Bill est audible, ce qui est rarement le cas dans ses enregistrements en studio. Son jeu consiste à marquer les temps par ses accords, de manière étouffée, avec un son assez grave, une façon de jouer très différente de celle qu'il avait sur scène. En 1968, voilà dix ans que les Comets utilisent une basse électrique. Al Rappa, qui joue avec eux depuis 1959, exécute ses lignes caractéristiques, différentes de celles de ses prédécesseurs contrebassistes. Rudy Pompilli fait comme d'habitude un travail admirable au saxophone, en harmonie avec le guitariste soliste Nick Nastos dont le jeu est assez proche de celui de Carl Perkins. J'aime moins, en revanche, le son et le style du batteur John "Bam Bam" Lane. La caisse claire est en retrait et le jeu de cymbales moins percutant que celui de son successeur, Bill Nolte.




Mon premier disque de Bill Haley

"Août 1976, Plancoët". Ce sont les quelques mots qu'inscrivit ma mère sur le premier disque de Bill Haley qui entra dans la famille. En cet été caniculaire, j'ai dix ans. Nous nous promenons, en vacances, sur un marché en Bretagne. Mon père s'arrête devant un stand de disques. Un 33 tours attire son attention : un disque du label français Musidisc intitulé Bill Haley and the Comets. Rock!! Il s'agit des pistes enregistrées en studio en Suède pour le label Sonet, en 1968.

Le verso : disque garanti "rock" !
Photo d'un des concerts de Haley
à l'Alhambra (Paris), en 1966.
Cette trouvaille fut la madeleine de Proust de mon père, qui avait entendu pour la première fois "Rock Around The Clock" lors de son service militaire, durant la guerre d'Algérie, vers 1956, en  assistant à une projection du film Graine de violence. Plusieurs fois, il m'expliqua ce qu'il ressentit à ce moment : de l'excitation, une envie de vivre à toute vitesse – il faisait de la moto –, une joie mêlée à une certaine révolte... Longtemps plus tard, il entendit à la radio le fameux air, qui l'émut derechef. C'était peut-être en 1974, lorsque "Rock Around the Clock" se vendait à nouveau, propulsé par le film American Graffiti dont il faisait partie des bandes originales.

Qui était ce Bill en veste rouge ?
Le disque Musidisc reste muet dans notre location saisonnière, attendant d'être joué sur le tourne-disque familial. La photo de la pochette m'intrigue : qui est ce Bill en veste rouge, dans une position statique, avec sa guitare noire, entouré de musiciens en costumes bleu ?
Bill Haley Musidisc
Sur le verso, l'inscription-souvenir de 1976.

A notre retour de vacances, mon père joue le 33 tours sur l'électrophone Dual du salon. Le rythme de Bill et ses Comètes me marquent instantanément. Je ressens, je présume, la même chose que mon père vingt ans auparavant.

Le 22 août 1976, la télévision française diffuse pour la première fois le feuilleton Happy Days, ayant pour générique "Rock Around the Clock". Ce fut mon second choc musical de 1976, confirmant mon attrait pour la musique de l'homme à l'accroche-coeur.